Chacun a pu faire le test : trouver son département sur la page web de l'INRA est désormais bien difficile. En tout cas beaucoup plus lent que téléphoner au secrétariat du département pour avoir l'adresse. De l'intérieur (c'est pire sur intranet) comme de l'extérieur, les départements sont devenus invisibles.
Ce signe n'est-il pas significatif du faible poids réel qu'ont maintenant les départements dans l'Institut ?
Le renouvellement des conseils de départements intervient à un moment clef de l'existence de l'INRA tout à la fois pour des raisons internes et du fait de pressions externes sans précédent.
Ce renouvellement se produit en effet à l'issue de l'évaluation complète de tous les départements, et de la restructuration de leurs « périmètres». Depuis 2002, malgré la crise de confiance qu'expriment les faibles participations aux élections et les protestations contre la bureaucratie envahissante qui s'étaient manifestées en 2004, la direction n'a jamais voulu discuter en CTP de la vie des départements et fait comme si tout allait bien.
Or, depuis 1997, ils sont écartés de fait de l'élaboration de la stratégie scientifique de l'institut, qui est devenue le domaine du conseil de direction formé par la présidente, ses adjoints et les directeurs scientifiques. Les objets de recherche, les choix d'implantation de gros équipements et la politique de recrutement sont de plus en plus imposés d'en haut par la direction « collégiale », sous forme de « contrats » inscrits dans les « schémas stratégiques » et dont la « mise en œuvre » ou « réalisation effective » est vérifiée lors des « directoriales ». Une étonnante bureaucratie s'est mise en place, s'auto-justifiant et de plus en plus en rupture avec les réalités du terrain. Pour imposer cette réforme, la discussion des postes et des orientations n'est plus à l'ordre du jour des conseils qui, au mieux, sont avertis, après coup, des décisions prises.
Les départements restent pourtant la seule référence scientifique institutionnelle, les seuls lieux d'organisation de l'animation scientifique. Et même cela est mis à mal par des restructurations soudaines, éloignées des vœux des chercheurs, et par le manque de temps qui est de plus en plus consacré à des tâches administratives et à l'examen de documents sans effets concrets sur le réel. De plus, soi-disant dans le but de rendre l'ensemble plus facile à diriger, les départements ont été réduits en nombre, devenant des structures de plus en plus transversales et considérablement alourdies par la fusion de départements disciplinaires (par exemple, on a vu en dix ans la disparition des départements de zoologie, bioclimatologie, science du sol, hydrobiologie, faune sauvage, phytopharmacie, pathologie végétale, malherbologie, physiologie animale, agronomie, zootechnie…).
La « caporalisation » qui accompagne ces évolutions est renforcée par le fait que les chefs de départements, nommés par la DG , président eux-mêmes les conseils, transformant leurs réunions en simples briefings tactiques. Face à cet encadrement, les chercheurs sont poussés (dans leur recherche de moyens et de par leur évaluation) à adopter des stratégies individuelles qui échappent à la direction. En effet, les contrats avec l'industrie, les régions, l'Union Européenne,… restent totalement hors de contrôle des départements qui ne font qu'enregistrer, longtemps après, les dérives orchestrées à l'extérieur de l'INRA.
C'est dans cette situation où l'a placé la réforme de 1997, appliquée avec conséquence et donc aggravée par la politique des années récentes, que le pacte pour la recherche se met en place. Ce pacte « en cours d'adoption » veut introduire deux acteurs majeurs, l'Agence Nationale de la Recherche (ANR) et les multiples « pôles » locaux ou régionaux, qui vont percuter de plein fouet ce qui restait d'unité stratégique de la politique de l'INRA. Chaque équipe mais aussi chaque chercheur, est appelé à assurer l'essentiel de son environnement de travail : moyens financiers, équipement et personnels recrutés sur contrats (post doctorants) auprès de l'ANR ou dans le cadre d'un Pôle de Recherche et d'Enseignement Supérieur (PRES), structures dans lesquelles l'INRA joue rarement un rôle pilote. Quant à ceux qui ne peuvent prétendre à ces prébendes, ils restent désorientés, attendant la fermeture de leur unité ou leur redéploiement plus ou moins forcé. Dans ce contexte, les conseils de département risquent de perdre encore un peu de leur substance, puisque du fait des nouvelles règles (conversion unilatérale des crédits de personnels en équipement ou CDD, réduction des recrutements statutaires, recours systématique aux précaires…), les grands moyens d'orientation, vont, cette fois, définitivement leur échapper.
Faut-il donc encore se préoccuper de ces structures ? Nous pensons qu'ils restent potentiellement la seule structure collective scientifique vivante et pérenne de l'INRA . Ils devraient permettre une véritable cohérence scientifique au sein d'un secteur de recherche car ils constituent, au niveau national, les structures qui participent à assurer dynamisme et complémentarité disciplinaire des approches menées. Sans eux, toute opération de recherche (séminaires d'orientation, formations, débats publics, conduite organisée du partenariat, arbitrages des moyens et des recrutements…) se dilue dans un chaos d'organisations et de projets à courts termes, inaptes à assurer le long terme, condition sine qua non de la pertinence . Ceci est d'autant plus vrai naturellement que les questions multi-disciplinaires se multiplient et que du fait du recours systématique à la modélisation dans tous les domaines, le contrôle de la rigueur des approches expérimentales et de la réalité des faits et théories devient critique. Les problèmes soulevés par l'agriculture moderne sont nouveaux. Seuls de nouveaux paradigmes permettront de les résoudre. Seules des disciplines rigoureuses et donc appuyées sur des communautés vivantes et solides (les départements tels qu'ils devraient être) peuvent satisfaire à cette exigence.
C'est pourquoi, dans le cadre d'une revendication de réforme du rôle des départements et du fonctionnement de leurs conseils, les candidats qui se reconnaissent dans cette analyse s'accordent à demander pour les départements :
Des contours mieux reliés à leur objet et leur discipline
Une taille qui permette une véritable animation en profondeur
De respecter leur initiative en matière stratégique
De nommer des présidents de conseil indépendants du chef de département
De donner aux conseils la décision sur les moyens lourds et les profils de recrutement
De rendre leur indépendance aux Commissions Scientifiques Spécialisées par rapport aux chefs de départements.
Outre ces revendications qui, nulle part ailleurs que dans ces conseils, ne trouveront de lieu plus pertinent pour s'exprimer, nous continuerons d'autre part, dans chaque secteur, chaque discipline :
De défendre l'INRA et le service public national de la recherche agronomique, mis à mal par l'entrée en force dans la recherche finalisée des acteurs privés dopés par les crédits publics ouverts sans condition
De résister contre le recours à l'emploi précaire pour répondre à la demande en recherche
De défendre le droit à l'information et à la consultation des membres des départements (chercheurs et ITA)
De résister à l'imposition d'évaluations préjugées et/ou mal conduites, dont le passé récent a offert trop d'exemples
De défendre la liberté individuelle des chercheurs, dans l'intérêt collectif, face aux restructurations arbitraires.